Il y a plus de deux mille ans, soixante dix mètres au dessus de la plaine où coule le Méandre, les rois de Pergame décidèrent d'édifier une cité thermale au sommet de la colline de Pamukkale (de pamuk : coton, et kale : château) qui comptait dix-sept résurgences d'une eau entre 36° et 45°, saturée de sels minéraux et de gaz carbonique.
La Hiérapolis hellénistique passa sous l'autorité romaine au tournant du millénaire et prit son essor à partir du 2e siècle, date à partir de laquelle furent construits les principaux monuments de cette cité de plus de 100 000 habitants.
Je ne tournerais pas autour du pot : cette étape de mon voyage m'a parue, sur le coup, plutôt décevante : les vasques d'un blanc étincelant étaient à sec, les cars de touristes beaucoup trop nombreux à mon goût et les monuments du site antique, à part le magnifique théâtre, assez épars et pas si folichons que çà ! Même le musée, logé dans les anciens thermes, n'est vraiment pas terrible.
Avec un peu de recul, j'ai adouci ma position, surtout à propos de la tufière immaculée de Pamukkale. Dans un premier temps, le photographe amateur que je suis a bien évidemment été frustré de ne pas trouver les vasques débordantes d'eau transparente, ce qui m'auraient permis de fabriquer de magnifiques souvenirs en blanc et bleu.
Après m'être renseigné un peu, j'ai dû admettre que c'est bien grâce aux choix drastiques fait par les "autorités" depuis une vingtaine d'année que ce site unique (dans ce sens qu'il réunit à la fois une curiosité géologique et un site antique d'importance), classé au Patrimoine Mondial depuis 1988, n'a pas été définitivement défiguré.
On peut aussi raisonnablement penser que la manne financière qui découle de cette réorganisation a largement dopé ce volontarisme... En effet, ce sont par dizaines que les bus arrivent des stations balnéaires situées à moins de 200km de là (Marmaris, Antalya, etc...) et déversent leur flot de touristes (dont beaucoup de Russes et de Chinois), obsédés les uns par faire trempette et les autres de poser devant les vasques immaculées.
Seul le théâtre antique, ou l'on croise parfois des blondes en string, trouve grâce à leur yeux ; peu s'aventurent en effet plus loin pour aller découvrir les autres maigres vestiges du site.
Le musée est payant, et donc tout simplement ignoré.
Des photographes accrédités vous attendent dans la piscine antique
Enfin, et pour être complet, pour ceux qui souhaitent barboter dans l'une des antiques piscines d'origine, il leur faudra débourser, en plus du tour organisé et de l'entrée sur le site, une dizaine d'euros supplémentaires ! Si on ajoute le café-terrasse et la musique à donf, ça fait quand même un peu "welcome at Pamukkaland" !
Avant !
Avant, pour faire court, chacun faisait ce qui lui plaisait. Il y avait des hôtels (qui détournaient les sources) en haut de la colline, hôtels que longeait une route asphaltée et des parkings ; des milliers de personnes venait chaque année patauger en toute liberté sur l'ensemble du site, qui avec ses bottes, qui avec son gel-douche !
Après !
Le site a depuis été largement remanié. La route et les hôtels ont disparu et une rampe artificielle (invisible du bas de la colline) relie aujourd'hui l'antique cité et le village. Cette rampe, accessible seulement les pieds nus, est agrémentée d'une petite dizaine de bassins artificiels bénéficiant de l'eau de source à 36°! C'est aujourd'hui le seul endroit dans lequel il soit permis de faire trempette.
Quant aux sources qui seraient soit-disant taries (on peu lire tant de choses!), il n'en est rien. L'eau coule à flot (plusieurs dizaines de litres à la seconde), probablement comme il y a deux mille ans. Il suffit d'ailleurs pour s'en convaincre de voir les canaux déverser leur trop plein d'eau en bas de la colline. Pourquoi donc alors les vasques sont-elles vides ? me direz-vous ! Et bien c'est le seul moyen pour que le "château de coton" garde sa blancheur immaculée : en effet le dioxyde de carbone contenus dans l'eau, en éclatant à la surface, provoque une précipitation du carbonate de calcium ; celui-ci se dépose et se durcit et blanchit à mesure que l’eau s’évapore. Le soleil, et plus généralement la chaleur, influe également dans le process dont je n'ai pas, je vous l'avoue, tout compris. Je suis peut-être curieux mais pas encore chimiste :)
Donc, pour faire simple, c'est pour éviter que les vasques et les cascades de calcaires ne jaunissent, qu'une fois les bassins remplis, chacun son tour, on attend ensuite patiemment que l'eau s'évapore totalement et que le carbonate de calcium sèche ; avant de recommencer, inlassablement...
Pour se trouver à Pamukkale un jour où les grandes vasques, en haut de la colline, sont copieusement remplies d'eau, c'est donc un peu un coup de poker (ou bien il faut connaître quelqu'un de bien placé à la mairie !).
Hiérapolis au 3e siècle
Quant à la cité antique de Hiérapolis, les vestiges qui valent le coup sont, d'une part, assez limités en nombres, et d'autre part situés à des centaines de mètres les uns des autres, ce qui plombe un peu la visite : si l'on veut vraiment tout voir, il faudra parcourir environ 3km depuis l'une des deux entrées du site, avant de faire le chemin inverse en longeant cette fois la tufière sur de nouveau 3km !
La cité thermale eut son heure de gloire au 2e et 3e siècle. Les empereurs y avait leurs thermes privés, et même Cléopâtre, amatrice de bain si il en est, serait passée par là. On y trouvait aussi un temple d'Apollon (où l'on rendait des oracles, comme à Didymes). Ce dernier communiquait avec le Plutonium, une caverne-sanctuaire dédié à Pluton, le dieu des Enfers. Hiérapolis est aussi réputée pour sa nécropole de 1200 tombes ou monuments funéraires de styles divers, conformes à la provenance et à l'origine des défunts.
La ville se développa jusqu’à l'époque chrétienne et byzantine. Un martyrium fut édifié à l'endroit ou Saint-Philippe aurait été crucifié en 80 ap.JC (sa tombe serait un bâtiment situé juste à côté) et les thermes furent transformés en basilique consacrée.
Dévastée par les Perses au 7e siècle, mise à mal ensuite par les Seldjoukides, les Croisés et quelques tremblements de terre, Hiérapolis fut définitivement abandonnée au 14e siècle.
L'album Pamukkale et Hiérapolis