Ce même jour, l'an dernier, la capitale était totalement paralysée par un évènement neigeux exceptionnel (voir ici). C'est dire que je n'ai pas boudé mon plaisir d'aller re-découvrir la Sülemaniye sous un radieux soleil et 14° ! De plus c'est sans doute en hiver qu'elle apparait sous ses plus beaux atours, les frondaisons ne cachant rien de ce joyau de l'architecture ottomane classique.
Autant le dire tout de suite, cette mosquée impériale construite par Minar Sinan entre 1550 et 1557 pour Soliman Ier le Magnifique n'a en fait que peu d'égale à Istanbul, en terme de magnificence ou d'aboutissement architectural. La Mosquée Bleue, autre chef d’œuvre de l'art islamique sera édifiée cinquante ans plus tard par un élève du même Sinan...
La Sülemaniye est d'ailleurs beaucoup plus qu'une simple mosquée : c'est un large complexe qui s'étend sur plus de sept hectares, organisé autour de rues et de jardins et qui comprenait à l'origine une école coranique, un hôpital, un bain public, un hospice, six collèges, des soupes populaires et de multiples magasins.
On trouve également au sud du complexe les mausolées et les tombes de Soliman le Magnifique, de son épouse Roxelane et de leur fille Mihrimah (ainsi que celles d'autres Sultans et dignitaires de l'Empire), et un peu plus au nord la tombe tellement modeste et discrète de l'architecte de génie que fut Minar Sinan.
Si on devait classer les mosquée "historiques" d'Istanbul, on n'en trouve que deux datant du 15e siècle, celle d'Eyüp et de Fatih, toute deux depuis largement remaniées (ou reconstruites).
Le 16e siècle sera l'âge d'or de l'art ottoman et, à part les mosquées édifiées au début du siècle, celles de Bayezid II (1506) et Selim Ier (1527), toutes les autres porteront la patte de Sinan qui, bien qu'accédant au poste de chef des architectes impériaux à l'âge déjà avancé de 50 ans, réalisera pendant près de cinquante autres années des centaines de projets (mosquées, bâtiment publics, ponts, bains, etc..). Sinan mourut en effet à 99 ans et ne vit jamais abouti ses deux dernières mosquées dont il lança les travaux à 97 ans !
C'est sous sa conduite que furent érigées entre autres, à Istanbul, les mosquées Şehzade Mehmet (1548), Mihrimah (1548), Sülemaniye (1557), Rüstem Pacha (1563) et Sokollu Mehmet Pacha (1571)
Son chef d’œuvre absolu ne sera pourtant pas construits à Istanbul, mais à Edirne (aujourd’hui poste frontière entre la Turquie, la Grèce et la Bulgarie). La Mosquée Selimiye (1574) sera ainsi l'aboutissement d'une vie de recherche et de perfectionnement. Et pour la première fois (après 10 siècles) les dimensions de la Sainte-Sophie seront dépassées !
Du 17e siècle, on retiendra avant tout (à Istanbul) la Mosquée Bleue (1616) et la Mosquée Neuve (1665), du 18e siècle la Mosquée Nuruosmaniye (1755) et la Mosquée Laleli (1783), et enfin du 19e siècle les mosquées de Dolmabahçe (1855) et d'Ortakoy (1856).
Sinan, probablement originaire d'une famille chrétienne, fut enrôlé de force dans l'armée à l'âge de 23 ans (voir le "devchirmé"). C'est durant sa longue carrière militaire, qui le mena durant près de vingt années des Balkans jusqu'en Syrie, en Irak et même en Égypte, que Sinan devint architecte. Avant les mosquées et autre bâtiments publics, c'est aux ouvrages défensifs et aux ponts qu'il apporta son savoir. Il devient chef des architectes impériaux au moment du plus long et du plus puissant règne ottoman, celui de Soliman le Magnifique. Ce dernier, un mélange de François Ier (dont il est le contemporain et avec qui il formera une alliance improbable qui durera pourtant 3 siècles !) et de Napoléon (pour avoir codifié dans le droit des règles qui perdureront jusqu'au 19e siècle), féru d'art, de culture, de poésie, orfèvre et surtout mécène, laissera à Sinan toute latitude (ainsi que des moyens quasi illimités) afin de révolutionner l'architecture qui aboutira en cette fin du 16e siècle en un incroyable syncrétisme arménien byzantin chrétien et ottoman musulman !
Commentaires
toute belle, et sous la neige aussi... quel sacré "bonhomme" ce Sinan...
Magnifique!!!